Mais déjà pourquoi ce titre
Il n'est pourtant pas fait mention à des fiançailles,un dimanche particulier,ou encore même à un mariage ....
On sort de la salle habité par ce mystère (ou l'envie de pisser c'est selon),alors on propose des solutions (ou on se soulage lachement sur l'arbre à coté du parking du ciné):parce que ce titre est volontairement abscons dans l'immédiat et se refère à un proverbe indien du 13 siècle avant W.B,ou parce que Jeunet a éradiqué trois ou quatre chapitres du bouquin de Japrisot ,mais que pour d'obscurs raisons juridiques il n'a pu indexer le titre sur ce léger ajustement ou encore parce que le film traite de l'attente,de l'amour perdu ,entretenu,recherché,phantasmé,une sorte d'infinies et urgentes préliminaires qui (c'est bien connu)décupleraient la passion ....
On peut voir ça comme ça,ou s'en moquer et regagner satisfait sa bagnole .
D'ailleurs,après tout,
un Long dimanche de fiançailles ,ne peut se réduire à une adaptation,ni à une reconstitution,ni encore moins à une romance rose-bonbon clichetonneuse et nostalgique ;il est ça et quelque chose de très différent à la fois .
C'est un film d'univers.
On dit qu'un auteur,un vrai,peut se reconnaitre à un seul et unique plan,alors Jeunet fait partie de ceux-là .
Son monde est fantastique,réaliste,fantaisiste,loufoque et chatoyant,il repose sur des petites choses minutieusement assemblées,sur des mots et des tournures désuètes réssuscitées,sur une sensiblerie tellement exacerbée qu'elle finit par transpirer de la pellicule pour contaminer ceux qui s'en approchent .
C'est un univers surchargé,de couleurs et d'émotions .
Pourtant Jeunet n'est pas un nostalgique,ni même un scélerat conservateur ,obsédé par le "bon vieux temps",c'est un enlumineur,un poète .
Si son univers est celui d'un temps,c'est celui du conditionnel: aurait été,serait,pourrait être.
Alors il balaye de sa folie créatrice cette paradoxale fin des années 10 ,et mêle reconstructions grandeurs natures et (odieuses et voulues)cartes postales numériques,pour offrir un cadre spatio-temporel hors normes à son histoire,son conte .
C'est un livre d'images qu'on parcoure,des images et pas des clichés,la subtilité est étroite mais essentielle .
Alors on se doute bien que les bretons ne se résument pas à des phares,des crêpes et du pot au feu,ni les corses à des anes,des veuves en noir ,et la vengeance,mais on peut se les imaginer comme ça le temps d'un instant,d'un conte,d'une escapade dans un monde merveilleux et éphémère .
On est pas venu pour chercher le réalisme sociolgique nan ?,si?,alors on s'est trompé d'adresse .
A vrai dire il n'y a qu'avec la guerre et ses poilus que Jeunet s'impose rigueur et exactitude,il ne réinvente plus,la boue a l'odeur de la boue,le sang coule réellement,des bombes ne jaillissent pas des feux d'artifiçe et des confettis,les coups et les blessures ne comptent plus pour du beurre,les âmes se meurtrisent et se fêlent pour de bon;le réalisme est d'autant plus frappant,choquant car brutal,nu et comme étranger.
Cela étant dit ,même quand il se refuse à enjoliver et transformer par sa baguette magique de caméra,il plaçe ici et là des personnages capables d'assurer ce transfert,d'arranger cette évasion : ainsi le soldat Poux (génial Dupontel....),fantasque et invinçible,aventureux,capable de faire apparaitre à des yeux tristes mais médusés du cacao ,de la confiture,un gant de laine rouge ou du saucisson....
Cette quête du romanesque guide constamment le récit et l'empêche de céder à la mieverie larmoyante auquel il pourrait s'abandonner(et s'abandonne parfois d'ailleurs merci à un Gaspard Ulliel tès lourd,cela devait être dit),c'est donc une enquête qu'on suit,bien sur émaillée des traditionnels micro-tranches de vies propres à Jeunet (avec ce souci de traduire avec méticulosité les actes,les sentiments)mais surtout ponctuée d'indiçes et de coups de théatre,et habitée de "figures " remarquables :
du Pire (savoureux Holgado),jusqu'au meilleur,et cette incroyable catin-tueuse (troublante Cotillard),somme tout évadée d'un roman d'espionnages ....
Le spectacle est complet,Jeunet multiplie les transversales entre les genres,les styles,pour imposer plus que jamais ce personnage de candide (candeur,ou forçe de volonté,d'espoir,et même symptomes d'une certaine gravité,pierres angulaires d'une distinction possible avec le personnage d'Amélie )dans le coeur des spectateurs .
Un univers donc et une philosophie,rayonnante .
Alors on va tous accompagner cette Audrey Tautou-là (beauté espiègle,charme insoutenable,actrice révé d'un monde imaginé),et ce Jeunet-là ,pour pleurer encore.
Et leur faire un triomphe .
Parcequ'il nous le demande ?
Parce qu'il nous le demande si bien .
Film merveilleux .
