De l'art de gérer le fantasme collectif dans le cinéma moderne.
La sortie imminente de Matrix Revolutions prête à toutes les controverses, et soulève en moi (oui, je suis un garçon très sensible) un certain nombre d'interrogations et une quantité non-nulle de curiosité... C'est pourquoi je prends ma plume histoire de jeter en pâture au plus grand nombre (oui, je suis un égocentrique mégalomane et mythomane) un certain nombre de réflexions que je me suis faites, sans pour autant me lancer dans une dissertation dûment construite et argumentée (là, je me débarasse des éventuels râleurs qui diront que je pars dans tous les sens et qu'on comprends rien à ce que je raconte

). Et si ça peut déboucher sur un débat vaguement constructif, autant en profiter...
La première chose qui me vient à l'esprit actuellement concernant Matrix, et dont je suis intimement convainvu, c'est qu'ils (les Wachowsky Bros.) ont réussi à faire fantasmer toute une génération de fans, et que maintenant, ils se retrouvent prisonnier de ce fantasme collectif qu'est devenu Matrix.
Première étape : la génèse.
En imaginant la matrice telle qu'ils nous l'ont
proposée (j'insiste sur ce terme) dans le premier film, ils ont tout d'abord mis le doigt sur un truc qui taraudait bon nombre d'auteurs/producteurs/realisateurs depuis un bon moment. Ils ont cristallisé un faisceau d'influences diverses pour donner naissance à un univers original. On en a déjà longuement parler, on va pas revenir sur la question. S'en est suivi le phénoménal succès qu'on connait, amplement mérité au vu de la pureté cinématographique de l'objet. Ils ont gravé l'imaginaire collectif pour un bon nombre d'années. Ce faisant, ils ont aussi perdu la propriété de leur bébé, le droit d'en faire ce que bon
leur semblait.
Deuxième étape : la révolution cinématographique.
Car c'est là que se situe le noeud du problème, à mon humble avis. Ils sont comme tout artiste à un moment ou un autre de la génèse de son oeuvre, confrontés au sempiternel problème de la suggestion. Faut-il montrer ou bien suggérer ? Que ce fût par choix artistique ou suite à une contrainte budgétaire (et donc technique) quelconque, ils ont pris le parti de ne pas montrer un certain nombre de choses. La guerre contre les machines ? Impensable de le montrer dans toute son ampleur, ca aurait coûté une fortune (qui aura été dépensée à contrario pour nous montrer la nouvelle guerre hommes/machines dans Reloaded/Revolutions, une fois le potentiel commercial avéré). Le monde réel ? Il se réduit pratiquement au seul vaisseau de Morpheus. A quoi ressemble vraiment la matrice ? On voit à peine un plan "en ligne de code" à la fin, quand Neo se relève pour affronter Smith après avoir été "ressuscité"... Bref la liste est longue. Trop longue...
Troisième étape : le fantasme collectif
Comme le dit Neo à la fin du film, "where we go from now is a choice I leave to you". Ca s'adresse à la Matrice, au 'mastermind' qui contrôle tout ce bordel, mais aussi à mots couverts au spectateur. Ca permet de pouvoir faire de Matrix un film qui se suffit à lui-même (et de ce point de vue, une suite aurait pu ne pas être nécessaire), mais ca laisse beaucoup trop le champ libre aux gens pour imaginer la suite justement. Qui, à la fin de Matrix n'a pas fantasmé sur ce que "ça pourrait" donner ?
Partant de là, il est clair que faire une suite à Matrix devenait un exercice plus suicidaire que de danser un tango sur un champ de mines. Obligés de devoir montrer ce qui n'avait été que suggéré dans le premier volet, sous peine de finir par se répéter encore plus qu'ils ne l'ont déjà fait dans Reloaded les frères Wachowsky se retrouvent confrontés à leur propre créature devenue la marionette des fans. Chaucun veut ci ou ça... Chacun a trouvé ci ou ça inutile, ridicule, lourdingue, etc etc... Alors fatalement, ça déçoit, ca frustre, ca gène aux entournures. Ca gène quand on nous montre un Morpheus, désigné comme leader charismatique dans le 1, et pratiquement un simple paria a illuminé dans le 2. Ca gène quand on nous montre Zion, cité-concept fantasmatique dans le 1, dortoir circulaire dans le 2. Ca gène quand on nous montre l'Oracle comme mythe antique dans le 1, simple programme d'analyse et de prévision dans le 2. Bref la liste est longue. Trop longue...
Quatrième étape : l'avenir
Les Wachowky auraient-il dû faire une suite à Matrix ? Probablement pas. N'allez pas me faire dire ce que je n'ai pas dit, j'ai beaucoup aimé Reloaded, même si je reconnais très honnêtement qu'il a des défauts trop visibles, et je trépigne d'impatience à l'idée d'aller voir la fin demain après-midi. Seulement, l'attente générée par Matrix était beaucoup trop élevée (encore plus que pour les fans du Seigneur des Anneaux vis-à-vis des films, des fans de Star Wars vis-à-vis de la prélogie) pour pouvoir contenter tout le monde dans cette suite et fin. C'est la quadrature du cercle qu'on tente de résoudre là. On peut plaire à un certain pourcentage de la population en faisant une suite, mais la déception prendra inévitablement le pas sur le reste.
Le fantasme (encore et toujours lui) prendra toujours le pas sur ce que l'on voit. Et ce n'est pas le black-out qui aura été pratiqué sur les suite de Matrix qui va améliorer les choses. Je suis resté consciencieusement spoiler-free pour le film, ce qui fait que je ne sais pas plus que ce qui nous est montré dans les bandes-annonces (tiens d'ailleurs en passant, en voilà un autre morceau de la machine à fantasmes), et si j'ai quelques idées que j'aimerais voir concrétisées (dont un bon gros twist final bien pêchu qui rabatterait le caquet à plein de monde), je suis ouvert à toutes les options. Or le problème là encore, c'est toujours que chacun a pu imaginer ce que bon lui semblait depuis Reloaded.... Encore et toujours le même problème...
Il reste que maintenant, chacun doit se poser un minimum de questions avant d'aller voir Revolutions :
1 - qu'est-ce que j'attends du film (si j'en attends quelque chose) ? Le premier qui me réponds "un vrai 'Matrix', mais pas cette bouse indigeste de Reloaded" peut retourner me faire une dissertation en 6 pages sur la définition de ce qu'est Matrix justement avant de répondre à la question.
2 - êtes-vous prêts à accepter ce que les auteurs vous proposent en faisant fi de vos aspirations personnelles concernant le sujet ? (inconscientes le plus souvent car rattachées à la définition qu'on se fait - encore et toujours)
Plus qu'une treizaine d'heures avant le début de Revolutions.... Je vais aller me pieuter et on poursuivra le débat sur l'art d'accomoder les restes au cinéma un peu plus tard si vous le voulez bien.
